Une conférence d’André Comte-Sponville
Le philosophe est intervenu au Forum de Printemps de l’ICFF, le 13 mai 2017 : Les grandes tendances des évolutions du monde du travail d’ici à 2030
En 2030, la moitié des jeunes d’aujourd’hui feront un métier qui n’existe pas encore.Changement et identité sont indissociables. Le monde change de plus en plus vite mais pour changer, il faut rester le même. Si le travail change, c’est qu’il va rester le même.
Bonne nouvelle : on travaille de moins en moins. En 1892, une loi est votée qui prévoit 12h de travail maximum par jour pour 6 jours par semaine pour les hommes et 11 h pour les femmes. Le patronat est contre et se désole qu’on puisse accorder du temps libre aux ouvriers.
Passer de 72 h à 35h est l’un des plus grands progrès sociaux.
Mauvaise nouvelle : il y a de moins en moins de travail dû à la révolution technologique. Ceux qui sont tout en haut de la hiérarchie et les métiers les moins qualifiés résistent (encore) à la robotique. Mais nous savons déjà que la Banque sera la prochaine sidérurgie.
Qu’est-ce que le travail ?
Le travail n’est pas un jeu et est utile à autre chose que le plaisir qu’on y prend. C’est le plus souvent une activité ennuyeuse et fatigante qui suppose certaines compétences et qui crée ou maintien de la richesse.
Ce n’est pas seulement le travail salarié. Cela peut être du ménage, du bricolage, l’éducation des enfants, donc un travail non marché qui crée de la richesse.
Quelle est l’essence du travail ?
Pour Bertrand Russel, philosophe anglais du 20ème siècle, il existe 2 types de travail : le premier permet de déplacer une certaine quantité de matière à la surface de la terre, le second est de demander à une personne de le faire. Utiliser le même mot pour désigner deux activités, dont l’une est passionnante et qu’on la ferait même si on n’était pas payé alors que l’autre nous permet uniquement de gagner sa vie est une est problématique et une escroquerie selon Galbraith, économiste amércain.
Le travail comme valeur morale ?
Penser le travail comme valeur morale est un obstacle épistémologique selon Bachelard, philosophe français. On dit depuis que lois Aubry existent, qu’elles ont fait baisser la valeur du travail. Mais de quelles valeurs parle-t-on ? Valeur économique ou valeur morale ? Elles ont augmenté le coût du travail donc il n’y a pas de baisse de la valeur économique.
Baisse de valeur morale ? Les chefs d’entreprise disent que pour les jeunes, le travail est de moins en moins une valeur morale. Ils ont raisons car le travail n’est pas une valeur morale. J’ai écrit un livre (Le petit traité des grandes vertus) et sur les 18 traitées, on m’a reproché de ne pas y mettre la valeur travail et dans ce cas je réponds :
- Mais dans les évangiles non plus !
- Pourtant il est écrit : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » ?
- Mais, Monsieur, dans ce cas, c’est un châtiment. Et non pas une valeur !
La langue française est contre les manageurs : travail vient de trepalium (instrument de torture). D’ailleurs pour la parturiente, on dit la salle de travail et dans ce cas c’est la salle de souffrance, chacun sait qu’accoucher n’est en rien une partie de plaisir !!!
Les problèmes de travail ont commencé au néolithique avec l’introduction du travail.
Si on avait le choix et qu’on gagnait à l’Euromillion, travailler, on ne préférait pas. Cela sera encore vrai en 2030. On raconte des histoires aux manageurs quand on les représente comme un chef d’orchestre. Le chef d’orchestre, lui, il continuera son métier même s’il gagne au loto. Mais un ouvrier, un salarié, une caissière qui gagnent le loto, ils arrêtent. Le travail n’est pas d’abord une vocation ni un plaisir, c’est une contrainte.
La générosité est une vertu : où est la générosité dans la vertu travail ? Car i la générosité était une valeur, on aurait 365 jours de vacances. Donc le travail n’est pas une valeur morale. L’amour est une vertu : pour aimer vous demander combien ? Pourtant vous demandez un salaire pour travaille ? La justice est une vertu : pour être juste vous demandez combien ? Pour être généreux vous demandez combien ? Les valeurs morales ne paient pas, le travail si. Une valeur morale n’est pas à vendre. Or, il y a un marché du travail. Donc on ne peut pas faire des leçons de morale pour motiver.
Si un enfant vous demande à quoi bon la justice, mauvais question car il faut être juste mon enfant.
Si un enfant vous demande à quoi bon la générosité, mauvaise question car il faut être généreux en soi.
Si un enfant vous demande à quoi bon travailler ? Il doit trouver sa réponse car le propre de tout moyen est de servir à autre chose qu’à lui-même. Le travail sert au loisir et au temps libre, il n’est pas une fin en soi.
Les jeunes (et les moins jeunes) savent d’instinct qu’on travaille toute la journée pour avoir un toit pour dormir ; qu’on travaille toute la semaine pour partir en week-end, qu’on travaille toute l’année pour avoir des vacances et qu’on travaille toute la vie pour avoir sa retraite. C’est important le travail mais c’est un moyen pas une fin en soi. Et c’est celui qui permet d’arriver à construire sa vie.
Le travail doit avoir un sens car il renvoie à autre chose qu’à lui-même
Il n’est sensation que de l’autre. Le sens n’est pas où en est mais où on va. Si on est ici, il n’y pas de sens. Le sens c’est autre chose. Donc le sens du travail est autre chose que le travail. Les manageurs et les coachs ne font pas le plus beau métier du monde. Qu’est-ce qui fait courir les travailleurs ? Pas l’argent car c’est ce qui rend le travail motivable et que le travail, cela n’a jamais motivé personne. En plus, le salaire n’est pas fixé par le patron mais par le marché du travail. Si les salariés restent c’est qu’ils y trouvent un certain plaisir et un certain bonheur. Il est plus heureux de venir travailler que de rester au chômage. Mais pour certains le bonheur commence à 18h ou à la fin de la semaine. La pierre de touche du management ou du coaching réussi est le bonheur au travail. Mais le bonheur au travail n’est pas une fin en soi c’est un objectif.
On dit : »il faut donner du sens aux salariés » et les dirigeants traduisent cela par communiquer leur vision. Mais une vision, ce n’est pas motivant pour le salarié, cela l’est pour le dirigeant et les cadres dirigeants. Le manageur aura besoin d’autre chose pour motiver son équipe.
Il faut donc réfléchir aux facteurs motivations : créativité, épanouissement etc.
Comment donner du sens ?
Un patron d’un groupe pharmaceutique qui produit des médicaments pour soigner le cancer et le sida (et donc sauver des vies) m’a confié qu’il avait demandé à ses cadres :
Que feriez-vous si vous gagniez 60 millions d’euros ? Tous ont répondu :
- Nous arrêterions de travailler.
- Et si vous arrêtiez de travailler, que feriez-vous ?
- Nous ferions quelque chose qui donne un sens à notre vie : écrire un livre, faire de la méditation, faire de l’humanitaire.
Le PDG était complètement dépité car si guérir le cancer et le sida, ce n’est pas cela donner du sens à sa vie, alors !!!
Faire la part des choses entre besoins et désirs
Pourquoi ces cadres voulaient-ils faire autre chose ? Parce que nous ne sommes pas des êtres de besoin mais de désir. Nos besoins sont objectifs mais nos désirs sont subjectifs. Et ils ne sont jamais durablement satisfaits. Quelqu’un qui dit : j’ai assez de pouvoir ou d’argent, ce n’est pas qu’il en a assez, c’est qu’il n’en a pas le désir. La croissance est inscrite dans nos gènes car elle permet de satisfaire nos désirs.
Seul le politique peut encadrer nos désirs : l’être humain est égoïste. C’est d’abord mes enfants, puis ma femme et moi. Je veux le meilleur des cacaos pour mes enfants. Pour les enfants d’à côté, je m’en fiche. Parlons moins de morale mais parlons plus de politique. Il est urgent de revaloriser la politique pour sauver l’humanité et non pour sauver la planète car elle nous survivra.
On parle de motivation uniquement quand ce n’est pas intrinsèquement bon. Quand on va au resto ou qu’on fait l’amour on ne dit pas après : Qu’est-ce que j’étais motivé mais plutôt qu’est-ce que c’était bon ! La motivation porte sur quelque chose qu’on ne désire pas spontanément. Pour suivre un régime, il faut être motivé, car il faut faire un effort. Personne ne veut se priver de sucre ou de graisse. Le management est réussi dans une entreprise quand les salariés réussissent à aimer leur travail et qu’ils sont heureux au travail. Le management doit travailler et trouver les motivations du bonheur au travail.
En conclusion, on devrait appeler labeur, ce qui est une contrainte et travail passion, ce qui est créatif et passionnant.
Google+
La boite à outils du coaching créatif
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !
Coaching, optimiser la formation professionnelle
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !
Méfiez-vous des coachs mal chaussés !