Le 8ème colloque de l’Association Européenne de Coaching s’est tenu le 21 janvier 2012. Juliette Ricou nous en fait le compte-rendu.
Les intervenants d’horizons variés (philosophe, sociologue, directeurs en entreprise et coachs) ont partagé leurs regards sur les nouveaux enjeux de performance, entre opposition et complémentarité avec le bien-être au travail. En tant que coach, je croyais que le coaching est un levier efficace pour réconcilier performance et bien-être allait de soi. C’est en fait loin d’être si simple…
Peut-on concilier performance et bien-être ?
Cela semble difficile dans la mesure où la surenchère de performance est l’outil de notre perte. Pour le philosophe Patrick Viveret, l’humanité est menacée « par sa propre barbarie intérieure ». Cette barbarie se manifeste par la compétition incessante au niveau mondial pour prendre des parts de marchés, commercialiser de nouveaux produits, faire croître le PIB. La compétition économique a fini par occulter les enjeux initiaux qu’elle visait, à savoir, le bien-être des hommes. Preuve en est que si le PIB continue de croître, l’indice de santé sociale stagne ou décroît. Les inégalités sociales se creusent et sont à la fois un symptôme et un facteur d’aggravation de l’état de santé de l’humanité. Nous sommes à la fin d’un cycle historique de « salut par l’économie ». Parvenir à gérer cette fin de cycle, c’est éviter la « sortie de route de l’humanité », son extinction. Le philosophe nous fournit quelques pistes pour gérer cette transition vers le Développement Durable : garder le meilleur de notre société actuelle (liberté), le meilleur des sociétés anciennes (reliance forte à la nature et au sens) et « être en résistance créative face au modèle dominant de la performance ».
Pour le sociologue Vincent de Gaulejac, la performance recouvre en entreprise des paradigmes fortement critiquables : l’objectivité, la norme d’un fonctionnement idéal, le positivisme ou encore, la notion de stress positif. Parmi ces paradigmes, celui de l’excellence est particulièrement paradoxal car l’excellence conduit irrémédiablement à l’échec : le toujours plus, à l’infini, n’existe pas. L’ « excellence durable » est un oxymore, une double contrainte très violente pour les individus. Cette double contrainte explique les burn-out et la montée des risques psychosociaux en entreprise. Dire que le risque psychosocial est dans la personne et non pas dans l’organisation arrange beaucoup de monde… Le sociologue préconise de remettre du sens et de s’employer à déconstruire les paradoxes dans lesquels notre société se trouve.
Les entreprises sont-elles prêtes à changer de paradigme ?
Certaines entreprises commencent à prendre conscience du besoin de repenser la performance mais sont loin d’être prêtes à sauter le pas. Pour Patrick Butteau, Directeur Commercial chez Aviva, la performance reste obligatoire pour que l’entreprise survive. La compétition mondiale a permis dans les années 80 une amélioration des choses : ouverture à l’innovation, intelligence collective, développement des compétences, meilleurs produits avec des meilleurs prix, etc. Mais depuis 10 ans, la crise et la logique purement financière occasionnent un changement permanant et une perte de prise en compte de l’humain. L’enjeu de demain auxquelles les DRH sont confrontées, prises entre le marteau et l’enclume, est de concilier l’augmentation de la productivité avec l’équilibre et le bien-être. Est-ce possible ? Patrick Butteau formule les recommandations suivantes : arrêter la standardisation simpliste des processus et des collaborateurs qui perd de vue les objectifs finaux ; abandonner la culture du seul résultat qui ne peut faire sens ; faire émerger le sentiment d’appartenance par la reconnaissance du collaborateur et la construction de projets collectifs.
Et le coaching dans tout ça ?
Vincent de Gaulejac nous rappelle que le coaching est né avec la culture managériale de la haute performance. Le coaching est encore aujourd’hui le vecteur de l’intériorisation de cette contrainte sociale par les personnels. La table ronde réunissant notamment Patrick Butteau et Stéphane Cottin, Directeur de la performance des ventes du groupe Renault, confirme ce constat : les prescripteurs de coaching ne voient pas encore dans les coachs les réconciliateurs de la performance et du bien-être. Les coachs seraient plutôt des consultants ayant une approche très standardisée et très commerciale de la performance et seraient soumis à une obligation de résultats (!!!). Ils estiment que le discours des coachs concernant l’éthique de leur métier est bien loin de la réalité. C’est comme si les coachs étaient eux-mêmes pris dans la course à la haute performance. Il est d’ailleurs symptomatique qu’on cherche de plus en plus à mesurer la performance d’un coaching…
L’assemblée a eu beau rappeler la déontologie du métier, la capacité des coachs à « confronter » leurs clients avec bienveillance et à les reconnecter avec leurs ressources et leurs valeurs, il est inutile de se voiler la face : il reste beaucoup à faire pour aligner cette vision du coaching avec la perception que s’en font la plupart des prescripteurs, des coachés voire des coachs eux-mêmes.
Juliette Ricou
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