Isaac Getz : Il n’y a pas d’entreprise libérée sans forte implication des RH
Blurring, surinvestissement, démotivation, burn-out… Dans un contexte de pression accrue sur les salariés, des pistes de réflexion émergent prônant la responsabilisation de chacun au détriment d’un système hiérarchique et pyramidal. Le concept entreprise libérée. Beaucoup a été écrit sur ce sujet, parfois sur un mode critique. Qu’en est-il vraiment ?
Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe, vient de co-signer l’ouvrage « Liberté & Cie : quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises ». Rencontre avec le penseur de l’entreprise libérée.
Que recouvre le concept d’entreprise libérée ?
L’entreprise libérée est une philosophie, une série de croyances selon laquelle chacun est digne de confiance, possède un don et préfère s’auto-diriger plutôt que d’être dirigé. Parvenir à articuler cette philosophie dans le contexte humain et culturel de l’entreprise – ce qui prend des années – conduit au nouveau mode d’organisation dans lequel les salariés sont libres et responsables d’entreprendre toute action qu’eux-mêmes jugent comme bonne pour l’entreprise.
Dans un tel mode de fonctionnement, direction, management et contrôle laissent la place à la vision, l’auto-direction et l’autocontrôle. Cela conduit à un engagement et une performance bien plus élevés. Les salariés sont engagés parce que leurs besoins psychologiques sont satisfaits. L’équilibre vie privée/vie professionnelle ne se pose pas dans ce type d’entreprise, car le salarié ne voit pas le travail comme un lieu de contrainte mais d’épanouissement.
N’est ce pas un peu idéaliste ? Peut-on réellement supprimer toute trace de hiérarchie ?
Ce n’est pas un sujet théorique. Des centaines d’entreprises libérées fonctionnent sans la hiérarchie traditionnelle investie du pouvoir de diriger le travail et de le contrôler. La plus ancienne entreprise fonctionnant ainsi depuis 1958 est W.L. Gore, fabricant de Goretex, aujourd’hui présent dans plus de 30 pays. La plus ancienne en France est une fonderie FAVI, depuis 1983. Il y a des ministères qui fonctionnent ainsi en Belgique et même un sous-marin nucléaire aux Etats-Unis. Mais attention : ne confondons pas l’absence de managers contrôleurs avec l’absence de leaders. En effet, dans presque toutes les entreprises libérées, les premiers leaders étaient des anciens managers à qui l’on a demandé – en les formant et les aidant par le coaching – d’évoluer vers le rôle du leader au service de leurs équipes. Paradoxalement, c’est ce qu’ils auraient dû faire depuis longtemps sans le pouvoir car ils étaient eux-mêmes écrasés par les KPI, procédures diverses et couches hiérarchiques supérieures.
Ce mode d’organisation peut-il être mis en place dans toutes les entreprises ?
La bonne question n’est pas de savoir si toute entreprise peut être libérée mais si tout patron peut être un patron-libérateur. Pour réussir, le patron doit s’approprier cette philosophie dans son cœur ou ses tripes, elle n’est pas un sujet intellectuel. Ensuite, il doit l’articuler dans le contexte humain et culturel de son entreprise. Mais avant de s’engager dans cette libération, il doit faire un travail sur lui-même, résoudre son problème d’ego et de lâcher prise, et obtenir un mandat de la part de sa structure de gouvernance pour mener une telle transformation.
Quel doit être le rôle de la DRH ?
Elle a un rôle clé et multiple. La DRH est bien consciente du désengagement, du stress, voire du mal-être des salariés. Elle est donc la première à rechercher des solutions. Ce n’est pas donc un hasard si c’est la DRH qui, dans de très nombreux cas, attire l’attention du DG et du Comex sur la philosophie de l’entreprise libérée comme solution non seulement aux problèmes du désengagement mais aussi de la performance.
Ensuite, si le patron s’approprie cette philosophie, la RH peut l’aider dans le travail sur soi, s’il en a besoin, en trouvant un coach de dirigeants approprié. Enfin, quand l’entreprise s’engage dans la libération, la RH se pose comme le partenaire principal qui organise des formations et des coachings pour aider les managers à évoluer. Dans très nombreuses entreprises, la libération, bien qu’incarnée par le patron, est pilotée par la RH, car il ne s’agit pas moins que transformer radicalement des comportements et des structures dans l’entreprise.
Propos recueillis par Frédérique Guénot in Focus RH
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