Du triangle dramatique de Steve Karpman à la résonance, apport de Mony Elkaïm
Cet article se propose de jeter une passerelle entre des univers de pensée qui s’ignorent alors qu’ils sont complémentaires. Comme pour inviter chacun à faire un pas d’écoute / un pas de côté vers l’autre, différent, qui n’a pas le même référentiel.
Quand le triangle dramatique s’installe…
Dans nos vies professionnelles ou personnelles, nous rencontrons régulièrement le « triangle dramatique » (photo 1), une notion développée par Stephen KARPMAN en Analyse Transactionnelle (dès 1968 !). Le « persécuteur » agit sur la « victime », celle-ci attire le « sauveur » qui veut… la sauver. Ce dernier a un rôle très gratifiant mais place de fait la victime en incapacité de s’en sortir par elle-même…
Quelques exemples de situations concrètes où risque de s’inviter ce « triangle dramatique »
- En management :
- un manager transversal en relation à la fois avec un collaborateur de l’entreprise et le manager de ce dernier (photo 2) ;
- un collaborateur en relation simultanée avec son N + 1 et son N + 2 ;
- un consultant en lien à la fois avec un de ses clients et le sous-traitant informatique de ce dernier.
- En coaching :
- le coach en relation avec un de ses clients qui lui parle d’une autre personne (qui n’est pas présent dans la pièce).
- Dans la vie de tous les jours :
- un enfant dont les deux parents ne partagent pas le même point de vue sur une question d’éducation ;
- la belle-mère dans un couple !
Quand les trois « rôles » du triangle dramatique s’installent – ce qui est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit –, sa nocivité systémique apparaît dès lors qu’une des personnes concernées dans le triangle change de rôle, ce changement se faisant souvent de manière non-consciente, et en une fraction de seconde : la victime devient alors bourreau, ou le bourreau victime, ou le sauveur bourreau, ou… Il est alors extrêmement difficile de s’en sortir, pour chacun des trois protagonistes : on est dans du perdant perdant (car le persécuteur est lui aussi perdant, même s’il ne s’en rend pas compte).
Le mot « dramatique » fait référence au « drame théâtral » mais, quand on se trouve enfermé bien malgré soi dans une relation de ce type, cela peut facilement avoir des conséquences… dramatiques : côté professionnel, situations tendues, harcèlement, « bouc-émissairisation », « placardisation », burn-out, arrêt de travail, licenciement… ; côté personnel, violences verbales (voire malheureusement parfois violences physiques) entre amis ou dans la famille ou dans le couple, situations tendues, séparation…
Comment sortir du triangle dramatique ?
Ce que j’ai retenu à l’écoute des théoriciens de ce « triangle », et aussi de mon expérience personnelle de coach, de superviseur, et tout simplement d’homme dans ma vie :
- Une première piste possible pour s’en sortir sera déjà de prendre conscience que ce « triangle » est là :
- Suis-je dans une relation triangulaire ?
- Si oui, y a-t-il manifestement un « bourreau », une « victime », un « sauveur » ?
- Si oui, l’un des deux autres ou moi-même avons-nous changé de rôle… l’espace d’un instant .
- Si oui à ces trois questions, c’est que le triangle dramatique est installé dans toute sa nocivité !
- Une deuxième piste possible sera bien souvent… de se taire, pour ne pas alimenter le « triangle ». Plus difficile à dire qu’à faire ! En effet, si l’on dit quelque chose, et quoique l’on dise, on risque fort de continuer à endosser l’un des trois rôles…
- Une troisième piste sera… de quitter ce triangle dramatique : courage, fuyons !
Il y a d’autres possibilités de s’en sortir, mais souvent bien compliquées et sans véritables certitudes quant au résultat.
Une mise à plat du triangle dramatique permet un autre regard
Une contre-proposition peut s’avérer utile : la mise à plat de cette relation triangulaire, (photo 3). Il est appliqué à la première situation « en triangle » évoquée ci-dessus, mais on peut le dessiner pour toutes les autres situations citées, en remplaçant « manager transversal » < — > « collaborateur de l’entreprise » < — > « manager du collaborateur » par :
- Le collaborateur < — > son N + 1 < — > son N + 2 ;
- Le consultant < — > son client < — > son sous-traitant informatique ;
- Le coach < — > son client < — > la personne dont ce dernier parle et qui n’est pas présent dans la pièce ;
- Un enfant < — > son père < — > sa mère ou un enfant < — > sa mère < — > son père ;
- L’homme < — > sa conjointe < — > la belle-mère ou La femme < — > son conjoint < — > la belle-mère.
Vous pouvez prendre le temps de dessiner la mise à plat que vous imaginez pour au moins l’une des situations à laquelle vous pensez avant de lire la suite.
Cette proposition de mise à plat permet entre autres pour le premier interlocuteur (dans l’exemple ici présent le manager transversal) :
- De décider quel interlocuteur privilégier en direct. Dans le schéma dessiné ci-joint, ce n’est pas anodin d’avoir mis le collaborateur au centre : si le manager transversal travaille en priorité avec lui, il pourra rester en posture de « manager-coach » vis-à-vis de lui et l’accompagner dans les difficultés que ce dernier rencontre, sur son champ de compétence, pour le travail demandé ou dans sa relation avec son manager.
- De réfléchir, d’identifier et de nommer tout ce qui relève de la relation directe entre les deux autres « partenaires », dont en particulier tout ce qu’il pourrait sous-estimer… qui ne relève pas de lui.
- De regarder ce qu’il doit changer (ou pas) dans sa communication avec chaque personne pour tenir compte de… tout ce qui lui échappera.
L’apport de Mony ELKAÏM : la résonance
Le triangle de KARPMAN s’invite spontanément dans une relation de coaching (et aussi de management, de formation) : le client peut facilement se présenter comme victime d’une situation et son coach comme sauveur (ne fait-il pas ce métier dans un souci valorisant d’ « aider les autres » ?).
Le coach peut donc utiliser cette proposition de mise à plat pour réfléchir à ce qui se passe dans sa relation avec son client (photo 4). Il peut y rajouter le concept de résonance explicité par Mony ELKAÏM, psychothérapeute systémique : « Les projections que je fais sur l’autre sont une passerelle minée entre l’autre et moi ; une passerelle, car c’est pour moi le seul moyen de le rencontrer véritablement mais une passerelle minée car j’ai vite fait de projeter sur l’autre des choses de ma vie qui ne le concernent pas ! » On retrouve cette notion quand on parle de « projection » en Gestalt, ou quand on parle de « reflet » en coaching !
Par exemple, si un de mes clients en coaching évoque une situation qu’il vit comme difficile avec un de ses collègues, j’essayerai de regarder en quoi ce qui se passe entre mon client et moi est ou non en résonance avec cette situation qu’il évoque, justement. Par exemple :
- Est-ce que je constate que « quelque chose ne respire pas » (en moi, chez lui, ou entre nous) ? Est-ce qu’alors il y aurait un thème autour de la respiration dans sa relation avec ce collègue ?
- Ai-je envie de prendre plus de place que je ne devrais dans mon dialogue avec lui ? Alors n’y aurait-il pas quelque chose autour de « oser prendre sa place » dans sa relation avec ce collègue ?
- Me passe-t-il son problème pour que je le résolve à sa place ? Alors, peut-être y a-t-il également un jeu de « passage de ballon » entre son collègue et lui ?
Bien évidemment, la réaction du coach ne sera qu’une proposition, que le client peut saisir ou non. Souvent, sa réaction en non-verbal est explicite (dans un sens – ça le touche – ou dans l’autre – notre projection est semble-t-il « à côté de la plaque »).
Porter son attention sur ce qui se passe entre mon client et moi
Ainsi, plutôt que de me centrer sur ce qui se passe entre lui et la personne absente, je porterai mon attention sur ce qui se passe entre lui et moi :
- Qu’est-ce qui se passe en moi et/ou entre lui et moi, au niveau intellectuel (tête), des émotions (cœur) et du ressenti (corps) ?
- Qu’est-ce qui se répète, ici et maintenant ?
- Quelles émotions sont présentes chez lui, chez moi ? Ces émotions prennent-elles le volant de sa vie, de la mienne ? Alors, qu’est-ce que cela dit des émotions de chacun dans la situation évoquée ?
C’’est dans la réponse à la question « qu’est-ce qui se passe entre vous et moi ? » que mon interlocuteur trouvera des réponses pertinentes pour lui, par rapport à la situation qui lui pose problème.
Car, évidemment, les réponses qu’il trouve par lui-même, que ce soit en coaching, en thérapie, en management ou en formation, sont bien plus pertinentes que toutes les solutions qu’on pourrait trouver pour lui, qui nourriraient notre désir naturel d’être… son « sauveur » !
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