Les Jeux Olympiques nous font inlassablement vivre de belles émotions. Chaque jour offre son cortège de grands moments, d’histoires de vies d’hommes et de femmes passionnantes et de drames… Lorsque vous consacrez plusieurs années de votre vie à l’atteinte d’un objectif aussi prestigieux qu’une médaille aux Jeux Olympiques et que vous « passez à côté », l’ampleur de la déception semble évidente.
Le programme court réalisé par Brian Joubert en patinage artistique a malheureusement pris des allures de catastrophe. Quelle que puisse être sa prestation lors du programme libre, l’obtention d’une médaille ne fait plus partie des désirs raisonnables. Ce matin, nos quotidiens passent à la loupe cet échec, en vue de chercher à le comprendre. Le journal L’Equipe propose un article intitulé « Joubert, autopsie du crash » (18/dont certains passages ont particulièrement retenu mon attention : 18/02/10, p.14)
Didier Gailhaguet, président de la Fédération Française et conseiller particulier du patineur, envisage ne pas avoir considéré le traumatisme de Turin (sixième en 2006) à sa juste valeur : « On n’a pas mesuré les traces négatives ni souhaité stigmatiser le problème. Comme on a minimisé ses blessures sur le triple lutz (opérations en 2007 et 2009), qui ont provoqué une appréhension récurrente sur ce saut ».
Faire comme si une expérience désagréable n’avait pas eu lieu ou n’existait pas, s’avère le meilleur moyen pour continuer à la faire exister. Beaucoup de sportifs ne veulent pas aborder les échecs vécus, de peur de les reproduire, de les entretenir ou d’encourager leur apparition. Ils préfèrent continuer leur chemin en choisissant de les ignorer, comme s’ils ne s’étaient jamais produits…
Seulement, le silence vis à vis d’un événement désagréable n’induit pas sa disparition, bien au contraire. C’est ainsi que ces vestiges du passé se plaisent à resurgir dans les moments les plus mal choisis comme pour nous punir de ne pas avoir su les transformer en alliés. Ducasse & Chamalidis (2006)* parlent de démons pour décrire ce genre de situations expliquant qu’ils « viennent de problèmes non résolus, de conflits intérieurs que le compétiteur n’a pas su ou n’a pas voulu régler ».
Plus loin, ils précisent : « Des scénarios d’échecs à répétition peuvent se reproduire tant que certaines lacunes ne seront pas comblées, tant que ce qui gêne vraiment n’a pas été compris et accepté. Les blocages et les scénarios de sportifs qui craquent ne sont pas irrémédiables, à condition de cesser de se mentir et de cesser de se cacher derrière des superstitions ou des rituels ; à condition d’identifier son problème et d’y faire face ».
Dans le cas de Brian Joubert, nous sommes en droit de nous demander si le choix de minimiser certains événements de sa carrière, voire de les ignorer, s’est avéré une stratégie payante. Par expérience, le sportif a tout à gagner à regarder ses échecs en face.
Pour compléter les arguments développés par l’entourage du patineur, les journalistes de L’Equipe écrivent : « un travail mental aurait dû être engagé. Il a toujours refusé : « J’ai essayé une fois, ça m’a coûté 1800 euros et ça n’a rien apporté ».Son entraîneur, lui, répond : « C’est pourtant une putain de bonne question. Mais on ne peut pas lui imposer quatre cerbères pour qu’il accepte de travailler sa tête ». Voilà un ensemble d’aspects intéressants…
Une chose m’étonnera toujours : pourquoi une mauvaise expérience vécue dans le domaine de la préparation mentale conduit-elle toujours à la conclusion que cela ne sert à rien et à la décision de cesser ce type d’engagement ? Lorsqu’un sportif vous confie ne plus avoir de bonnes relations avec son entraîneur, son préparateur physique ou un autre membre de son staff, il poursuit toujours en vous expliquant qu’il cherche une autre personne qui lui conviendra davantage. Lorsqu’un joueur constate que son préparateur physique ne lui apporte pas satisfaction, il décide de le remplacer et non de cesser de se préparer physiquement!
Les intervenants en psychologie du sport sont nombreux, ils n’ont pas tous bénéficié de la même formation, fonctionnent différemment et ne peuvent convenir à tous les sportifs. Le sportif doit partir en quête de cet acteur comme il le fait pour les autres rôles de son encadrement. Quand Brian Joubert dit « J’ai essayé une fois », cela signifie combien de temps, sachant que ce travail doit être effectué dans la durée ? Quoi qu’il en soit, il est tout à fait possible que cette expérience ne lui ait rien apporté, seulement, n’aurait-il pas été plus judicieux de remettre en question cette collaboration plutôt que le travail mental dans son ensemble?
Malgré tout, je partage entièrement le point de vue de son entraîneur, il est hors de propos de forcer quelqu’un « à travailler sa tête ». Peut-être d’ailleurs se cache-t-il ici la vraie raison de l’échec de Brian Joubert dans sa tentative de travailler le versant mental qui pourrait justifier sa décision de cesser : désirait-il vraiment s’y livrer ?
Pourtant, quand je lis le petit paragraphe où le patineur explique ses problèmes de comportement, son agressivité, où il avoue être toujours sur les nerfs et avoir pris les choses à l’envers, allant jusqu’à déclarer« depuis deux ans, je ne suis plus moi-même », il m’est difficile de ne pas regretter qu’il ait préféré « fermer les yeux » plutôt que de se faire accompagner, en vue de se confronter à cette réalité. Ignorer ses démons avant une échéance comme les Jeux revient quasiment à leur adresser un carton d’invitation. Cécile Traverse – Les Fortes Têtes. Plus d’articles sur le sport et le mental sur son blog.
*Ducasse, F. & Chamalidis, M. (2006). Champion dans la tête. Canada : Les Editions de l’Homme.
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1 réponse to “VANCOUVER 2010, Brian Joubert at-il invité ses démons ?”
28 mai 2013
webradioMerci pour l’astuce, j’apprécie votre style. J’ai quand même besoin d’un peu de temps pour réfléchir à tout ça.